Chasseur d’instants
« La photo, c’est le témoignage d’un infime instant qui dure à peine 1/60ème de seconde », explique Thanh d’habitude plus prompt à valoriser les plats vietnamiens de son restaurant. « Je veux être un témoin et puis montrer ce que j’ai photographié à mes descendants », poursuit-il. Ce jeune homme de 41 ans, né à Marseille, semble traversé par des questions existentielles fortes. Les photographies encadrées et exposées dans son restaurant du boulevard Victor Hugo témoignent de ses voyages au Vietnam, en France et à New-York. Près de 16 clichés soigneusement mis en valeur par des tirages spéciaux et sur des cadres de grande valeur sont à la vue de ses clients dans une volonté pudique de partager ses visions.
Les origines du don |
---|
« Si on a un don et que l’on ne l’utilise pas, c’est du gâchis », dit-il en cherchant mon approbation du regard. A 14 ans, son père lui offre un appareil-photo. Lors d’un voyage en Italie, le jeune Thanh photographie de manière compulsive tout ce qu’il voit. « J’ai ramené 8 pellicules de 36 photos. Vous imaginez ? ». Il fait des prises de vue de Venise, de Vérone, du Palais des Loges… Une fois son bac en poche, le jeune Marseillais se dirige vers des études d’architecture. Entre temps, son ami François Richard (photographe à La Marseillaise) lui apprend les rudiments de la photo. Il s’exerce alors durant un voyage à New-York pour tenter de traduire les émotions aigües qu’il a ressenties. De retour, il décide d’abandonner ses études pour bifurquer vers un BTS de photographe. Il passera son CAP de photographe avec brio en devenant major de l’académie de la région. |
Un talent non reconnu |
Cependant, le passionné de photographies est resté bloqué à la case « photographe amateur non reconnu ». Beaucoup de spécialistes louent la qualité de son travail mais à ce jour Thanh n’a jamais exposé dans une galerie ni vendu une seule photo. « J’ai peut être une trop haute idée de mon travail ». Quant on l’interroge sur le prix de ses œuvres, il refuse de descendre en dessous de 2 400 euros, son prix planché. « Je suis allé présenter mon travail à des galeries à Paris…ils m’ont dit en substance qu’il fallait que je continue à galérer…. ». Pourtant ses photographies sont magnifiques car elles expriment quelque chose, un sens inhabituel, une ambiance métaphysique, une couleur jamais révélée, un talent de regarder et de capter un instant improbable. |
Bavard devant ses photos |
Lorsqu’on lui demande de parler de ses photos, il devient intarissable. Devant « Sèches séchant sous le soleil de Shanghai », il raconte comment il a saisi cet instant et s’amuse de cette allitération dans le titre. Il aime parler de ce matin où il s’échappe des obligations familiales pour prendre cette image d’un moine marchant pieds nus dans la rue avec une obole. La lumière est ici extraordinairement captée sur l’habit orange du prieur bouddhiste. Enfin Thanh se souvient de cette cuisine dans laquelle il avait mangé un repas préparé à l’eau de pluie. Le touriste dans son pays d’origine se sent Français avant toute chose. Lorsque je lui demande s’il ne rêve pas de vivre que de cette passion chevillée à son corps, il m’invite du regard à me retourner pour observer cette fourmilière au travail dans le restaurant. « C’est ma famille, je ne peux pas la quitter ». |
Jérôme Puech |
Suivez-nous sur les réseaux sociaux