Facebook

Suivez-nous sur les réseaux sociaux

Recevoir la Newsletter

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels
Se connecter
Sections
Vous êtes ici : Accueil Les billets Humeurs taurines : corazon, n’est pas raison !

Humeurs taurines : corazon, n’est pas raison !

Daniel Saint Lary est un auteur taurin. Il réagit suite à la corrida du siècle, le solo de José Tomas dans les arènes de Nîmes ce dimanche 16 septembre.

(photo Anthony Maurin)

Et même le pastis n'avait plus le même goût !...


Y’a des choses qu'on sent comme ça: d'abord, sur le chemin qui me mène aux arènes depuis chez moi, je vois des gens plus élégants que d'habitude, et en y regardant de plus près, j'entends qu'on ne parle qu'espagnol. Je m'étonne à peine: les espagnols qui vont à la fiesta ne sont pas des va-nu-pieds. Ils se font beaux, comme les toreros. Parce qu’on doit bien s’habiller quand on vient voir la mort debout.

 

Nîmes centre du monde

 

Je me dis que Nîmes est le centre du monde, je vois des drapeaux colombiens, mexicains, vénézueliens, catalans taurins, malaguenos, russes peut-être: il y a comme de l'électricité dans cet air pur, dans ce ciel aussi limpide qu'il était effroyablement  apocalytique lors de cette famosa course des vendanges sous la pluie qui avait tourné au mano à mano entre Joselito et Ponce, après la blessure de Cesar! C’était il y a longtemps mais tout le monde s’en souvient encore.

 

Aficionados du monde

 

Dans les arènes, où je suis grâce à un sézame bien placé et payé au prix normal, les gens témoignent et s’interpellent: "nous sommes de Bogota, Maestro José, viens quand tu veux ! Et  nous, nous sommes l'aficion catalane ! Viva Mexico et Aguascalientes! ". « Viva la fiesta national ! ».

 

On se sent un peu petit tout à coup mais fier. J'ai failli clamer que j'étais de la Calle de Barcelona en Nîmes, mais j'étais un peu  comme un étranger dans ma propre ville: devant moi, derrière et à côté, les gens donnaient l'impression de se retrouver, de se connaître, venant de Madrid, de Barcelone, de Cartagène ou de  Mexico. Seule la corrida, avec l'opéra, produit ce sentiment d’appartenance au tout, déclenchant la fin des frontières et l’amour universel. Alors je me suis rendu compte que le monde n'était pas rond, qu'il était ovale, comme les arènes, que tous ces gens, dont certains avaient payé les places jusqu'à 2000 euros, vivaient sur une planète où n'aborderait jamais les âmes trop simples. Ou trop formatées. Il faut savoir aimer le plaisir, ne pas avoir peur d’aimer.

 

On le sait bien nous : les toros rendent chèvre, surtout quand le chevrier s'appelle José Tomas.

 

Tout était parfait

 

C'est simple: tout était parfait. Trop, peut-être. La montera qui tombe toujours bien, comme les plis de sa cape en soie ; le toro hurleur de Jandilla qui s’arrête quand José lui fait entendre gentiment le doux murmure de sa faena ;  On aurait même souhaité un drame comme dans la tragédie grecque, comme cette héroïne qui dit à Ulysse : « je vais te suivre, et parce qu’il le faut, et parce que je désire la mort ».

11 oreilles (et une queue) sur douze possibles, rien que ça ! On se dit qu'il y a une infime marge de progression vers la perfection, qu'un jour ce vide d’un douzième d’oreilles sera comblé. Alors, on se met à regretter qu'un toro n'ait que deux oreilles, qu'un autre n'en ait seulement qu'une, que sous sa robe noire transparente le string de la voisine ne s’emballe pas davantage, qu'on n'ait pas plus de volutes de Cohiba dans le nez, que l'arène n'ait que 15000 places et une corrida six toros, que Chicuelo II ne joue pas plus souvent pour un quite de Morenito de Nîmes ou pour une série de capotazos de José  donnée d'une seule main.

 

L'homme qui parlait à l'oreille du toro

 

De ne pas être dans les confidences de José et d’Ingrat, le toro de Parladé. Que lui-a-t-il dit après son saut dans l'inconnu, quand il a franchi le callejon après avoir failli embrocher 4 ou 5 peoples? On s’en doute, va ! « Allez, suis moi, n'écoute pas la foule, fais ce que je te dis, mets ta tête, répètes, oublies ta douleur à la patte, pars, reviens, enroules toi autour de moi, n'arrêtes jamais. Voilà c'est fait, faut m'écouter: tu as la vie sauve, tu es pardonné et c'est à moi que tu le dois ! A la revoyure, Ingrat ! ».

La corrida de tous les temps

 

La corrida de ce matin n'était pas la corrida du siècle: elle était toute la corrida. Un monument. Un peu comme celui qu'aura un jour Tomas à l'entrée des arènes de Nîmes, à côté de Nimeno. Pourquoi ? Par ce qu'il n'est pas de ce monde, qu'il a traversé le temps, tous les temps, sa tauromachie, c'est celle de Pedro Romero, de Pepe Hillo, de Belmonte, d'Ortega, du Chauve, de Dominguin, d’Ojeda. Il a montré une telle aisance dans l’improvisation, un tel don de soi, un tel sens de la créativité que toute comparaison ne serait pas raison. Et d’ailleurs, comme l’auteur de ce billet d’humeurs,  ce sont les aficionados présents qui ont perdu la leur.

 

II a dépoussiéré des suertes oubliées, montré toute l'étendue de son répertoire à la cape comme à la muleta ; comme ses séries de trincheras couillues succédant à des passes par le bas de la douceur du duvet, ses naturelles commencées à la gare et finies à la Tour Magne, ses véroniques à faire revenir le Christ, et ses épées de médaillés d'or.


Alors, après il y aura toujours des docteurs de la foi, moins d’une dizaine, pour dire qu'ils se sont ennuyés à ce qui n’était pour eux qu’une « sardinade ». Ceux là, n'auront pas vu le vol des tourterelles saluer d'un coup d'ailes les envolées de Tomas, le solo du trompette de Chicuelo tutoyer les hirondelles, ni la grâce de José quand il a accompagné  Ingrado  vers sa nouvelle vie.

 

On flotte

 

A la sortie, ils n'auront pas senti l'air flotter autour d’eux, leurs jambes couper, le je-ne-sais-quoi qui rend la vie plus heureuse, parce qu’on se sent pousser des ailes, qu’on marche à 20 centimètres du sol, et parce que l’air sent bon la merguez et l’aisselle des filles qui ont beaucoup transpiré. Leur pastis a dû être bêtement anisé, comme d’habitude.

 

Je ne sais pas si après ça, je ne vais pas faire ma despédida d’aficionado. C’était peut être bien celle-là… celle qu’on attend toute une vie… A bon ! On me dit que Tomas serait à Bogota ? Pourquoi pas !

 

 

Daniel Saint-Lary

Video

Une à Nîmes 2016 Présentateur : Jérôme Puech.

 

 

 

 

Météo
Météo Nîmes

UNE À NÎMES Le e-magazine des gens qui aiment leur ville