Eloge des tapas
Par Olivier Lange. Né en 1973 à Constance en Allemagne, Olivier Lange a grandi à Nîmes. Il a étudié la philosophie et fait de nombreux séjours au Proche-Orient. Il vit à Saïda, au Sud Liban, où il travaille pour le ministère des Affaires étrangères
Eloge des tapas |
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L’aube venue, la nuit consommée, il ne reste plus rien des tapas. Ils n’auront duré que ce que dure une nuit sans lendemain, contrairement au repas complet, au dîner prétentieux, qui impliquent commentaires, classements et comparaisons. Les tapas, quant à eux, sont un événement qui ne se survit pas, un coup d’éclat dont la magie transforme chaque table en un monde miniature qui nous institue rois et reines, souverains éphémères des soirs nîmois de printemps. Les tapas nous libèrent, y compris d’eux-mêmes, puisque leur multiplicité de petites portions, nous permet de faire circuler la parole, longuement et librement. Alors que le repas officiel est comme la présence quasi religieuse d’une vérité absolue qui tient les convives en respect, les tapas célèbrent un ciel vide et joyeux, où fuse le feu d’artifice des saveurs et des mots. Mais si les tapas invitent à la conversation, ils appellent aussi l’alcool pour démultiplier encore leurs plaisirs. Omettant la bière, les puristes se feront servir un vin de bataille et de corrida, un rioja seigneurial pour être assurés de l’emporter. Des Nîmois oseront franchement, et avec raison, un Costière rubis, gorgé de soleil et de fruits rouges, pour tout se dire d’une joie musicale. D’autres, sans attaches, Nîmois rêveurs ou seulement de passage, se laisseront gagner par la fraîcheur et la tendresse nostalgique d’un vin de Loire, Chinon ou Cheverny. Les tapas, festin du paysan des villes splendides, mais également promesse de tous les exilés, de ceux dont la seule œuvre est la vie… Dans certains tableaux, il est des traits recouverts par l’œuvre finale, qu’on appelle repentirs. Il n’est pas dit que les tapas, eux non plus, ne gardent pas, caché en leur sein, derrière leurs brillances somptueuses, le souvenir d’une étoile éteinte dont la lumière nous parvient encore ; celle des mezzés arabo-andalous, du rosé du Liban et des poèmes d’Omar Khayyâm… Dès lors, en les portant à nos bouches, les tapas sont comme le baiser retrouvé d’un amour disparu, la résurrection de la chair ; le temps d’un soir, moment d’éternité où les vivants de tous les temps se retrouvent enfin. |
Les tapas, festin du paysan des villes splendides, mais également promesse de tous les exilés, de ceux dont la seule œuvre est la vie… |
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